Un peu de technique
Un singulier combat...
Les joutes font penser aux tournois chevaleresques du Moyen-Age. Les jouteurs sont d’ailleurs surnommés les "chevaliers de la tintaine", du nom de la plate-forme surélevée qui se trouve à l’arrière de leur barque.
La tintaine est un endroit en soi instable et d’où l’adversaire n’a qu’une envie, vous éjecter sans ménagement. Ce sport de collision est un duel entre deux gaillards armés chacun d’un bouclier (le pavois), d’une lance et d’intentions combatives.
Les masques de détermination, les mâchoires crispées, parfois les blessures spectaculaires (joue arrachée jusqu’aux dents), tout en témoigne : cela ne rigole pas au moment de l’estocade.
"Pour être un champion, il ne faut rien craindre et ne penser qu’à gagner. Il faut arracher" résume Hubert Montels, vainqueur de 48 tournois officiels et actuel Président de la SNJA, Société Nautique des Jouteurs Agathois.
Peureux s’abstenir...
Les barques sont lestées et les hommes y rajoutent leur poids. Une quinzaine sont embarqués (dix rameurs, les musiciens, le barreur, les jouteurs). "En tout cela pèse, au minimum 2,5 tonnes" estime un connaisseur. Multipliez cette masse par la vitesse et vous aurez la puissance de l’impact concentré dans les quelques centimètres carrés du bout de la lance. Une pointe de trois dents de fer appelée l’épure. Quand, au lieu d’accrocher le bois du pavois, elle vous rentre dans la joue, cela fait très mal.
D’abord, il y a le choc. La pointe de la lance vient se ficher dans le pavois de l’adversaire. Comme au creux d’une mêlée de rugby, les forces opposées se télescopent pour faire craquer le maillon le plus faible. Le pavois est bien collé contre la poitrine. Son encoche est posée sur la genou avant. "Si la jambe arrière qui doit être raide faiblit, c’est fichu" nous avait expliqué un jour, en expert, Mathieu Jalade, l'un des vainqueurs agathois du Trophée de l'Ephèbe aujourd'hui hélas décédé. A ce premier stade, le jouteur le moins aguerri est déjà "en l’air", entre ciel et eau. S’il a tenu le coup, s’il est resté ferme sur ses jambes, il doit maintenant encaisser la pression dans la partie supérieure du corps, le mouvement qui repousse les deux barques.
Vaincre ou goûter "l’onde amère"
Le dos souffre, le bois des lances aussi. Pourtant solides, elles se plient, se courbent, parfois jusqu’à rompre.
Le perdant est celui qui, selon l’expression consacrée, "va goûter l’onde amère". L’amertume vient moins du sel marin remontant dans l’Hérault que de la saveur de la défaite. Ce sport est sans pitié : chaque tour est éliminatoire. Le meilleur est celui qui, tout à la fin, reste au sec pour contempler, de haut, son dernier adversaire tout mouillé…
Pourtant, si la pratique de cet art rude semble jusqu’ici réservé aux hommes, la force musculaire pure ne suffit pas. Les qualités requises sont celles d’habiles marins : l’équilibre, le coup d’œil, la façon de se placer... Il faut aussi compter avec la ruse, pour ne pas dire le vice de ceux qui "laissent filer" (la lance dans leur main, qui "retardent l’épaule" ou qui "s’ouvrent", se dégageant du pavois pour ne laisser que le vide à la poussée adverse). Les règlements évoluent mais l’imagination humaine est inventive pour se rapprocher au plus près de ce que le règlement interdit. On joute aussi avec sa tête…
Attention aussi à bien tenir sa lance ! D'une longueur de 2,80 m, faite de bois solide et sans nœud, elle est colorée de rouge et de blanc pour permettre d’évaluer de loin sa bonne tenue. Le jouteur, la lance sous l’aisselle, ne doit pas laisser celle ci apparaître derrière son bras, sinon il est disqualifié pour "lance courte". Sous peine de sanctions par le jury, la main du jouteur ne doit pas franchir la première garde.
Contre la triche, il y a l’œil enfin du jury, mais aussi, plus proche, celui du barreur, qui peut cesser de vouloir vous faciliter la tâche. "Si tu continues à taper trop bas, la prochaine fois je te mets à l’eau" avait dit ainsi Victor Pouget, grand nom des joutes sur Agde et auteur de l'ouvrage "Nos joutes nautiques", à un jeune jouteur agathois, qui avait pris l’avertissement au sérieux. On ne rigole pas non plus avec le barreur de sa barque. Il vaut mieux l’avoir avec soi que contre soi...